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Intervention, cérémonie du 8 mai 2023

Programme du Conseil National de la Résistance.
Publié le mardi 09 mai 2023
"Je souhaite aujourd'hui évoquer le programme du Conseil National de la Résistance. Je ne l'avais jamais lu. Sa lecture a réveillé chez moi une colère profonde et un sentiment mêlant humilité et admiration.

Une colère profonde car ce programme de justice sociale, économique et démocratique a été largement mis en œuvre à la Libération avec notamment la sécurité sociale et la retraite et que, depuis, il est petit à petit mis en mal au prétexte qu'il n'y aurait plus d'argent. Aujourd'hui, en 2023, il n'y aurait plus d'argent ? Comme s'il y avait de l'argent en 1944 dans un pays ruiné et détruit encore occupé par des troupes de l'Allemagne nazie. L'argument pécunier est un argument fallacieux destiné à masquer le fait que certains s'opposent au projet de société porté par le Conseil National de la Résistance. Il n'y a pas là une question d'argent, mais de modèle de société. Voilà ma colère.

Une colère donc et un sentiment mêlé d'humilité et d'admiration. Alors même que les résistants combattaient, qu'ils devaient d'abord survivre, ils trouvaient l'énergie d'imaginer ce que pourrait être la société après la Libération. J'aime à croire que c'est justement parce qu'ils avaient cette envie de créer une société plus juste qu'ils trouvaient l'énergie de se battre.

Qu'est-ce que le Programme du Conseil National de la Résistance ? Un petit fascicule de 8 feuillets intitulé « Les jours heureux » publié en 1944. Ces quelques pages, c'est surtout un projet global qui préfigurait un changement profond dans la vie de chacun. C'est ça aussi l'extraordinaire de ce programme : malgré les morts, malgré la guerre, malgré le danger, quelques individus qui se réunissent au péril de leur vie parviennent à imaginer une vision entièrement nouvelle de l'avenir, une vision porteuse d'effets immédiats dans la vie de chaque habitant.

Je cite quelques extraits qui j'espère mettront en exergue toute la puissance transformatrice du programme du CNR :

-       Sur le plan social

1.       « La garantie d'un niveau de salaire qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d'une vie pleinement humaine ». Aujourd'hui, travailler et être pauvre est toujours une réalité pour de nombreuses personnes.

2.       « L'amélioration du régime contractuel du travail ». Aujourd'hui, nous avons toujours des contrats précaires. Pire, nous en avons inventé de nouveaux qui précarisent encore davantage les travailleurs.

3.       « Une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ». La retraite, cette invention géniale qui a permis de vaincre une malédiction millénaire qui condamnait l'immense majorité des personnes à vieillir dans la misère. A la Libération, Ambroise Croizat, ministre du travail, concrétisera la proposition du CNR avec la mise en place de la généralisation de la retraite et du minimum vieillesse. En quelques années, le taux de pauvreté des personnes âgées sera divisé par 4 et Ambroise Croizat réussira son pari de faire « de la retraite non plus une antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie ». Un nouvel âge pour des jours heureux.

Le moment de la Libération sera le temps de belles avancées citoyennes et sociales mais pour ce qui est de la démocratisation de l'entreprise et de l'économie, le compte n'y est pas. Pour paraphraser ce que disait Jaurès à propos de la Révolution française : « La Libération a fait du Français un roi dans la cité et l'a laissé serf dans l'entreprise ». En effet

1.       « Le développement des coopératives de production, d'achat et de vente » prévu dans le programme du CNR n'a pas eu lieu.

2.       Pas plus que « La participation des travailleurs à la direction de l'économie » ;

3.       Et encore moins « L'instauration d'une véritable démocratie économique […], impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie ».

C'est peut-être parce que ce volet économique du programme du CNR n'a pas été mis en œuvre qu'aujourd'hui certains sont prêts à sacrifier les conquêtes sociales sur l'autel de l'économie.

Pour terminer cette intervention, je souhaite citer quelques extraits de « l'appel des résistants aux jeunes générations ». Je vais reprendre 3 de leurs appels :

1.       « Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ne pas se laisser impressionner par l'actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie ». C'est ce qu'il y a d'appréciable avec ces résistants qui ont tous plus de 80 ans au moment d'écrire cet appel, ils ne machent pas leurs mots.

2.       « Nous appelons […] à définir ensemble un nouveau « Programme de Résistance » pour notre siècle, sachant que le fascisme se nourrit toujours du racisme, de l'intolérance et de la guerre, qui eux-mêmes se nourrissent des injustices sociales ». Je remercie ces auteurs pour ce rappel du lien direct entre l'injustice sociale et le fascisme.

3.       « Nous appelons enfin les enfants, les parents, les jeunes, les éducateurs, les autorités publiques, à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous ». Comme une évidence pour ceux qui cherchent sans cesse à construire un avenir meilleur, l'appel se termine par un message pour la jeunesse et le monde que nous adultes nous leur laissons.

La colère, l'humilité et l'admiration évoquées en introduction sont de nouveau présentes dans cet appel. Je le disais, les auteurs ont tous plus de 80 ans au moment d'écrire ce texte. Toute leur vie, ils se seront battus pour que s'applique le programme du CNR, pour construire une société de la dignité humaine.

Appel des résistants aux jeunes générations, 8 mars 2004, Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guinguouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey."

Fabien Gracia,

Maire de La Montagne

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